Bruno Boccara Associés, cabinet d'avocats spécialiste en droit immobilier
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Déspécialisation des retraites

11/01/2009 - Lu 2431 fois
De l'évaluation des dommages et intérêts en cas de refus injustifié

1° - Le droit constant en ce qui concerne les conditions du droit à des dommages et intérêts
Le rapprochement de l'arrêt rendu par la 3e chambre civile le 16 janvier 2002 (Cf. Administrer avril 2002 et l'étude de J.-D. Barbier et nos commentaires ci-après, p. 33) et de l'arrêt du 30 janvier 1991 (Revue des loyers octobre 1991, p. 404) démontre que la jurisprudence est bien fixée et fait une application classique des principes puisque le fait d'ester ou de défendre en justice est un droit qui ne peut être abusif et générateur de dommages et intérêts que s'il comporte mauvaise foi ou légèreté blâmable.

2° - L'évaluation des dommages et intérêts : position du problème
En revanche, l'évaluation du quantum des dommages et intérêts pose de nombreux problèmes que nous voudrions maintenant analyser.
Le locataire, victime d'un refus injustifié, a droit à des dommages et intérêts couvrant au moins deux sortes de préjudice : d'une part, le préjudice principal résultant de la différence entre le prix de la cession projetée irrégulièrement refusée ainsi que les intérêts de retard et le prix ultérieur de la cession effectivement réalisée et d'autre part, le préjudice accessoire pouvant résulter de toutes les dépenses effectuées par le locataire à l'occasion du projet refusé et de la procédure.
Mais le locataire lésé par un refus injustifié peut-il demander réparation de la totalité du prix de cession dont il est frustré ?

3° - L'évaluation des dommages et intérêts en jurisprudence
Nous pouvons citer au moins deux décisions de justice :
a) - L'arrêt de la 16e chambre A de la Cour de Paris du 22 novembre 1988 - (Loyers et copropriété 1989, n° 84), a considéré que « Si le preneur, âgé de soixante huit ans, est obligé, en raison de l'attitude du bailleur, de continuer à exploiter son fonds, faute de pouvoir trouver un successeur dans son commerce et de pouvoir céder son bail à une personne exploitant un commerce différent s'il ne souffre pas d'un trouble de jouissance au sens où l'entend le code civil, n'est pas fondé à demander la résiliation du bail et il a droit, en présence de l'attitude fautive et dommageable du bailleur, à des dommages et intérêts équitablement arbitrés par la Cour ».
b) - Le jugement de la 18e chambre du tribunal de grande instance de Paris du 19 décembre 1995 (nos observations dans Administrer mai 1996, p. 29) : « Un refus injustifié est générateur de responsabilité et justifie sa condamnation au paiement de dommages et intérêts correspondant à la différence entre le prix de la cession projetée qui a dû être abandonnée à la suite du refus et le prix de vente effectif du fonds de commerce ».
Si l'on devait conclure à la seule lumière de ces deux décisions, il faudrait en déduire que le locataire ne peut réclamer à titre principal que des dommages et intérêts correspondant au prix de cession dont il a été frustré.
Il en est ainsi d'autant plus que le propriétaire peut soutenir qu'en conformité des principes de la responsabilité civile, le locataire, lésé par les agissements du bailleur, ne peut réclamer que la réparation du préjudice nécessairement subi : ce qui n'est pas le cas puisque le locataire peut réitérer sa proposition au profit d'un autre cessionnaire.

4° - Critiques de l'analyse jurisprudentielle
Les solutions jurisprudentielles nous paraissent critiquables et incomplètes pour deux raisons cumulativement décisives :
a) - La jurisprudence oublie un chef de préjudice qui est essentiel et dont il importe peu de savoir s'il est principal ou accessoire : le refus injustifié du bailleur oblige en effet le locataire à poursuivre son exploitation le temps d'effectuer de nouvelles recherches et de conclure une nouvelle cession.
b) - Mais d'autre part et surtout la thèse, juridiquement plausible du droit à des dommages et intérêts correspondant à un différentiel de prix de cession, n'est valable que si la cession peut se réaliser effectivement.
On voit immédiatement que cette interrogation est lourde de difficultés puisqu'il s'agit de vérifier successivement : a) - Si le locataire a fait des recherches ; b) - Si ces recherches ont été suffisamment efficaces ; c) - Et la durée nécessaire de réalisation de ces recherches puisqu'on ne peut pas exiger du locataire qu'il reste définitivement en place faute de trouver un nouveau locataire. Or, ces exigences débouchent sur des vérifications difficiles sinon irréalisables.
En fonction de ce qui précède, deux solutions sont concevables : ta première consiste à considérer que si à l'expiration d'un délai raisonnable (un an ?) le locataire n'a pas trouvé de candidat cessionnaire, on doit présumer que ces recherches sont vaines et dans ce cas, le propriétaire devra être condamné à payer au locataire évincé le prix de cession dont il a été frustré.
La seconde solution, plus radicale, consiste à considérer cumulativement : I. Que le locataire victime d'un refus injustifié ne peut pas être obligé de poursuivre son exploitation puisqu'il y a eu faute caractérisée du bailleur ; II. Et que l'on doit indemniser le locataire frustré de la totalité du prix de cession qui avait été envisagé d'autant qu'il ne s'agit que d'une valeur de droit au bail que le propriétaire pourra récupérer puisqu'en reprenant la disposition des lieux, il a la possibilité de les louer moyennant une valeur locative plénière. On rappellera d'ailleurs qu'un bailleur de bonne foi et normalement avisé, peut parfaitement refuser le cessionnaire proposé ou l'activité envisagée, en réglant purement et simplement au locataire prenant sa retraite, le prix de cession notifié comme il résulte de l'article L. 145-51 du Nouveau Code de Commerce (ancien article 34.3.1 du décret).

Bruno Boccara, Administrer n° 345, novembre 2002, p. 8.