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Bail commercial et logement décent

04/03/2010 - Lu 3025 fois
Bail commercial – Logement pour habitation principale – Logement décent (oui) – Droit à dommages et intérêts (oui) (Cass. civ. 3ème 14 octobre 2009 – Aff. Leydier c/ Compagnie de gestion immobilière ; arrêt n° 1178 FS-P+B ; arrêt unique rendu sur les pourvois à l’encontre de deux arrêts ; obs. Yves Rouquet Dalloz Actualités 22 octobre 2009)

Sur le premier pourvoi,

"Ayant relevé, par motifs adoptés, que suivant contrat du 1er septembre 1989, la SCI avait donné à bail commercial à M. Leydier des locaux comprenant au rez-de-chaussée, une pièce à usage de magasin, une cuisine et deux chambres et à la suite, séparés par une cour, une farinière et un fournil, et, au deuxième étage, trois pièces, une cuisine et un W.C. et ayant constaté, par motifs propres, que M. Leydier avait son  habitation principale dans une partie des lieux loués, la Cour d’appel, abstraction faite d’un motif surabondant et sans être tenue de procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes, en a exactement déduit que le bailleur était tenu de se conformer aux exigences de la loi relative au logement décent délivré au locataire."

Sur le deuxième pourvoi,

"Encourt la cassation l’arrêt (Lyon 12 septembre 2006) qui, pour débouter M. Leydier de sa demande de dommages et intérêts formée à l’encontre de la SCI pour le préjudice subi du fait de l’indécence de son logement… retient que si le logement ne correspondait pas aux normes du décret du 30 janvier 2002, M. Leydier n’a formé une demande de respect des dispositions de ce texte que dans le cadre de la présente procédure et qu’il n’est dès lors pas fondé à solliciter des dommages et intérêts au titre du préjudice subi du fait du comportement à cet égard de la SCI alors qu’elle avait constaté que la SCI n’avait pas délivré au preneur un logement décent ce qui constituait une violation des dispositions des articles 1719 du Code civil et ensemble l’article 1147 du même Code.
"

Observations. – Dans l’espèce rapportée, la Cour de cassation a procédé à la jonction de deux pourvois diligentés l’un par le bailleur à l’encontre d’un arrêt de la Cour de Lyon du 3 mai 2005 et l’autre par le preneur, à l’encontre d’un arrêt postérieur de la même Cour du 12 septembre 2006.

1°. – Sur l’exigence d’un logement décent :


Au titre du premier pourvoi, il était reproché à l’arrêt de Cour d’appel d’avoir retenu les obligations d’un bailleur en application de l’article 1719-1° du Code civil complété par la loi du 13 décembre 2000 savoir l’obligation de délivrer au preneur la chose louée « et s’il s’agit de son habitation principale, un logement décent » lequel sera défini par un décret d’application du 30 janvier 2002 fixant les obligations du bailleur quant aux caractéristiques d’un logement décent et qu’ainsi nonobstant la conclusion d’un bail commercial pour le tout, le bailleur devait, pour l’habitation principale du preneur, délivrer un « logement décent » : la défense du bailleur selon laquelle il n’avait pas été consenti un bail d’habitation mais un bail commercial ne pouvait être retenue dès lors qu’à l’évidence dans les lieux loués, figurait la description d’un local à usage d’habitation même si le bail ne vise pas, pour ce local, un usage d’habitation et alors qu’il était établi par ailleurs que le commerçant habitait effectivement les lieux. Des litiges sont souvent nés, quand dans la description des lieux, figure manifestement un local à usage d’habitation sans que pour autant le preneur soit contraint d’utiliser effectivement les locaux à usage d’habitation et l’on a vu très souvent de tels locaux devenir soit des réserves, soit des locaux purement administratifs et dans lesquels le preneur n’habite pas, ce qui ne constitue donc ni une infraction aux clauses du bail, ni une violation éventuelle de la loi. A l’inverse, si toujours dans la désignation, il y a des locaux qui ne devaient être qu’à usage d’habitation et qui sont effectivement à cet usage, il est légitime que, nonobstant le caractère commercial pour le tout du bail, le logement soit alors livré de façon décente.

La solution retenue par la Cour d’appel et non censurée par la Cour de cassation ne peut être qu’approuvée et elle doit conduire les bailleurs à être attentifs aux conditions de confort et d’équipement des locaux dont l’affectation normale est un usage d’habitation et/ou interroger le futur preneur sur ses intentions concernant l’usage des lieux et le cas échéant obtenir une dispense expresse de la fourniture d’un « logement décent », le preneur renonçant à occuper à usage d’habitation celui-ci… quoique si les dispositions en question relèvent de l’ordre public, il ne soit pas certain qu’une telle renonciation soit valable et encore sans préjudice du droit de l’administration d’exiger un usage d’habitation pour des locaux qui devraient être affectés effectivement à un tel usage. On observera que depuis 2000, diverses décisions de Cour d’appel ont déjà sanctionné la délivrance d’un logement non décent partie accessoire d’un bail commercial (Agen 13 septembre 2007 – AJDI 2007. 922. Obs. Denizot, JCP(E) 2007.1523 ; obs. crit.Moneger ;  obs. Denizot AJDI 2007.922 ; on se reportera également à nos observations plus générales dans Administrer mai 2009 sous Paris 16ème B 12 février 2009.

2°.  – Sur le droit à dommages intérêts du preneur

La deuxième instance poursuivie par le preneur à l’encontre de son bailleur avait pour objet l’allocation de dommages et intérêts au titre du préjudice subi pendant toute la période pendant laquelle le logement n’avait pas été décent et la Cour d’appel avait jugé que la demande de respect des dispositions du texte rappelé ci-dessus ayant été introduite après qu’ait été complété l’article 1719-1° du Code civil, il n’y avait en quelque sorte pas lieu à dommages et intérêts au titre du préjudice subi. Les termes du pourvoi ne permettent pas de vérifier quelle était l’ampleur des dommages intérêts revendiqués par le preneur et s’ils étaient afférents à une période antérieure à 2000, le bail ayant été consenti en 1989 ou s’il s’agissait de dommages et intérêts calculés à compter de la survenance de la loi et de son décret d’application. Vraisemblablement de tels dommages et intérêts n’étaient justifiés qu’à compter de la survenance de ces textes législatif et réglementaire et ainsi à compter de cette date, compte tenu des obligations du bailleur, existait manifestement un préjudice justifiant que la Cour casse la décision intervenue.

Ici encore, le commentateur ne peut qu’approuver la décision rendue.

Danielle Lipman W. Boccara, Administrer, décembre 2009.