Bruno Boccara Associés, cabinet d'avocats spécialiste en droit immobilier
Vous êtes ici >> Accueil/Les Dossiers/Les Commentaires/Bail dérogatoire et compétence du tribunal d'instance

Bail dérogatoire et compétence du tribunal d'instance

07/09/2009 - Lu 11254 fois
Bail (en général) – Bail dérogatoire – Compétence du Tribunal d’Instance (non) (Paris 16ème B 5 mars 2009 – Aff. SARL Enlèvement sur demande c/ SAS CAPRIM)

« Il résulte de l’article L 321-2-1 du Code de l’Organisation Judiciaire que sont exclues de la compétence du Tribunal d’Instance toutes les contestations en matière de baux commerciaux ; qu’il n’entrait donc pas dans la compétence du Tribunal d’Instance de rechercher si les baux, objet des débats, étaient ou non de nature commerciale ; qu’il y a donc lieu en conséquence d’annuler le jugement déféré et de statuer sur le fond du litige ».

Observations. – L’arrêt ci-dessus justifie le présent commentaire en présence d’un bail dérogatoire conforme aux dispositions de l’article L 145-5 du Code de commerce car certains plaideurs s’interrogeaient sur le point de savoir, puisque le statut des baux commerciaux ne lui est pas applicable, s’il convenait de saisir le Tribunal d’Instance ou le Tribunal de grande instance. Bien que cette interrogation soit devenue sans objet au regard de la réforme la plus récente en la matière, il a paru utile de faire le point de la législation.

Il était acquis antérieurement au décret du 28 décembre 1998 que le contentieux ne concernant pas les règles du statut était soumis aux tribunaux d’instance puis, à compter de cette date, l’article L 321-2 du Code de l’organisation judiciaire a exclu de la compétence du Tribunal d’Instance toutes les contestations en matière de baux à loyer d’immeubles ou de locaux à usage commercial, industriel ou artisanal régis par le décret du 30 septembre 1953  (« sont exclues de la compétence du Tribunal d’Instance toutes les contestations en matière de baux visés par les articles L 145-1 et L 145-2 du Code de commerce ») ; il pouvait encore être soutenu que le contentieux des baux dérogatoires pouvait relever du Tribunal d’Instance.

Mais en définitive, même cet article a disparu à l’occasion d’une ordonnance du 8 juin 2006 portant réforme du Code de l’organisation judiciaire, abrogation applicable à compter du décret du 2 juin 2008 qui, dans son article R 211-4, énonce au titre des compétences exclusives du Tribunal de grande instance dans son numéro 15 « les baux commerciaux à l’exception des contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé » et en son article R 221-38, que le Tribunal d’Instance « connaît des actions dont un contrat de louage d’immeuble ou un contrat portant sur l’occupation d’un logement est l’objet, la cause ou l’occasion ainsi que des actions relatives à l’application de la loi du 1er septembre 1948 portant modification et codification de la législation relative au rapport du bailleur et locataire ou occupant de locaux d’habitation ou à usage professionnel et instituant des allocations de logement » : dans l’espèce rapportée, le jugement du Tribunal d’Instance était du 22 novembre 2007 ; il n’est donc pas certain qu’ il était incompétent ; la Cour d’appel, dans son arrêt du 5 mars 2009 vise les dispositions de l’article L 321-2-1 qui a été abrogé au profit des deux textes ci-dessus et qui, compte tenu en toute hypothèse de sa teneur, ne pouvait pas nécessairement s’interpréter comme excluant de la compétence du Tribunal d’Instance le contentieux des baux dérogatoires.

En réalité, c’est l’imperfection des textes législatifs ou règlementaires qui a été à l’origine des difficultés rencontrées par les plaideurs. Avant la réforme de 1998, il était clair que tout litige qui ne relevait pas du statut lui-même dépendait de la compétence du Tribunal d’Instance et notamment lorsque l’on était en présence d’un bail dérogatoire ; après la réforme, il n’aurait pas dû y avoir de difficulté car un bail dérogatoire reste un bail commercial même s’il n’est pas soumis au statut par l’effet des dispositions de l’article L 145-5 du Code commerce ; enfin, lorsque des litiges naissent au sujet d’un bail dérogatoire, c’est bien souvent en raison du fait que le preneur revendique le bénéfice du statut justifiant de plus fort la compétence du Tribunal de grande instance, même avant les dernières réformes.
La question en tous les cas avait été d’ailleurs longuement débattue en doctrine (J.P. Blatter : « La nouvelle compétence juridictionnelle en matière des baux commerciaux » AJDI juillet 1999 p. 670 et s. ; J.D. Barbier : « La réforme de la compétence en matière de baux commerciaux baux commerciaux - Gaz. Pal. 30 juin/1er juillet 1999, Doctrine ; Didier Lemasson : « La compétence en matière de bail commercial » - Loyer. & copr. novembre 2006 ; Christophe Denizot et Arthur de Galembert « Nouvelles règles de compétence en matière de baux commerciaux » AJDI septembre 2008 p. 641.

La Cour a cru enfin devoir annuler le jugement rendu mais il suffisait sans doute, en application des dispositions des article 78 et 79 du Code de procédure civile, d’infirmer la décision du chef de la compétence et de statuer au fond puisqu’elle était effectivement compétente en tant que juridiction d’appel et par l’effet dévolutif de l’appel.
 

Danielle Lipman W. Boccara, Administrer, juillet 2009.